Entretien avec Brigitte Luciani et Eve Tharlet

AURACAN.com : Entretien avec Brigitte Luciani et Eve Tharlet

À l’occasion de la parution le 15 juin 2007 du deuxième volet de leur charmante histoire dessinée Monsieur Blaireau & Madame Renarde (Dargaud), Auracan.com vous propose de rencontrer la scénariste Brigitte Luciani et la dessinatrice Eve Tharlet…

Pouvez-vous revenir sur vos premières créations communes, et nous expliquer comment vous êtes passées de la littérature jeunesse à la bande dessinée ?

Brigitte Luciani  : Notre première collaboration date de 2000 : c’était Tous à la mer ! un livre pour enfants, édité chez Neugebauer – Nord Sud. Mais Eve et moi nous connaissions, alors, à peine. En littérature jeunesse, l’auteur et l’illustrateur n’ont pas souvent la chance de travailler vraiment ensemble. Les éditeurs préfèrent garder la main sur les projets. L’échange se fait donc uniquement entre l’auteur et l’éditeur, puis l’éditeur et le dessinateur. Coup de chance : Tous à la mer a gagné le prix Jeunesse du Salon du Livre maritime à Concarneau. C’était l’occasion de passer un peu de temps ensemble. Eve n’habite pas loin et elle m’a chaleureusement invitée chez elle. Puis une amitié est née… Chacune savait toujours sur quoi l’autre travaillait. Et quand je fis mes premières tentatives en bande dessinée, j’ai bien senti que ça intéressait Eve ! Je lui alors ai proposé un scénario sur mesure. Personnellement, je suis venue tardivement à la BD parce que j’habitais en Allemagne où elle est encore bien trop méconnue. J’avoue que je ne connaissais pas grand-chose avant de venir en France. Mais là, le bonheur… la fascination aussi ! Ce genre était comme un nouveau terrain de jeu qui s’offrait brusquement à moi.

Eve Tharlet  : J’ai toujours eu, au fond, ces deux passions : l’illustration et la bande dessinée. Mais par-dessus tout, l’envie de « raconter » dans l’univers de la petite enfance. L’illustration se révéla être plus appropriée à ce moment-là… Quand Brigitte me glissa dans l’oreille son envie d’une BD qui s’adresserait aux petits, je ne pouvais que foncer dans son projet : raconter en bande dessinée ce même univers que j’aime… Voilà l’idée, et c’était un vrai défi à relever !

Comment vous est venue l’histoire de Monsieur Blaireau et Madame Renarde ?

Eve Tharlet : Brigitte avait cette envie d’une bande dessinée pour les petits, une envie tellement convaincante que je préparais mes crayons, avant même qu’elle ne commence à écrire son scénario ! Elle ne me posa qu’une question préalable : que voulais-je dessiner ? des humains ou des animaux ? J’optais pour les animaux, dans leur nature, pas en « costume – cravate – chaussures à lacet »… Aussi parce que les enfants peuvent, soit s’identifier, avec l’un ou l’autre des personnages ou, au contraire, préférer – sans s’en rendre compte – garder une distance par rapport à l’histoire. Ils sont comme les voyeurs d’une situation qu’ils vivent peut-être et la « digèrent » mieux, vécue par des… bêtes. Puis, Brigitte s’y est mise !

Brigitte Luciani  : En effet, cela faisait longtemps que je voulais écrire une histoire pour les petits en abordant le sujet de la famille recomposée. Mais je n’y arrivais pas. Chaque fois, le sujet se mettait trop en avant et devenait trop lourd, à mon goût. Alors, un jour, j’ai appris dans un documentaire qu’il arrive que des blaireaux et des renards partagent le même terrier. L’éclair ! En une après-midi, toute l’histoire s’est mise en place. Je voyais toute notre petite famille et je voyais surtout qu’elle m’offrait l’occasion de parler de plein d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Le soir même, j’ai téléphoné à Eve.

Eve, la mise en scène d’une BD est-il un exercice très différent à aborder que le dessin d’illustration que tu pratiquais précédemment ? 

Eve Tharlet : Juste une précision, je pratique toujours l’illustration ! J’alterne albums de bande dessinée et livres jeunesse. Ce qui me permet d’apprécier alternativement la différence des deux genres. En illustration, je travaille sur une double page ouverte, donc un grand format (43 x 32 cm). Je dispose de douze planches pour mettre un texte en images. Il me faut faire un tri sévère dans ce qui me vient en tête à la lecture, pour ne garder que douze idées d’illustration. Par contre, la réalisation offre un éventail immense de possibilités : vision très zen ou, au contraire, bourrée de détails ; une mise en scène théâtrale ou plus cinématographique ; une mise en scène traitée à la façon d’un peintre… Quant aux techniques de mise en couleur, pas de limites ! En illustration, on peut tout tenter : photos, volume, huile, craie, papier biscornu, aquarelle, encre, collage, gravure, plâtre, etc. Il y a un côté « raconter une histoire », mais aussi un aspect « cuisine » !…

Et en bande dessinée ?…

Eve Tharlet : En BD, ce sont, non plus une illustration par planche, mais plein de cases par page, et ça change tout ! Plus de tri sélectif possible quand je lis… le scénario se déroule comme un film. Surtout que Brigitte avait bien défini, au départ, le caractère de chaque personnage. Je les avais sommairement crayonnés avant de lire l’histoire. Comme je ne connais pas les codes de la bande dessinée, c’est de l’improvisation basée sur ce que je ressens, pour choisir ma mise en page, la taille des cases, leur organisation, comment couler d’une case à l’autre, opter pour tel ou tel cadrage… Bien sûr, je plonge dans les BD d’autres dessinateurs pour comprendre leur façon de faire. Je vais aussi mettre mon nez dans des ateliers, poser des questions, écouter ce que l’on m’apprend ! Car j’ai une foule de choses à apprendre, novice que je suis dans ce monde-là !

Qui sont Monsieur Blaireau et Madame Renarde ? Comment se rencontre-t-il et que va-t-il leur arriver dans les 4 prochains tomes de la série ?…

Brigitte Luciani  :M. Blaireau élève seul ses trois enfants. C’est un bon père, exigeant mais plein de tendresse. Un jour Mme Renarde et sa fille Roussette, prises en chasse, se réfugient dans le terrier des blaireaux où elles trouvent l’hospitalité. Les adultes sympathisent sur-le-champ. Voire plus… Ils décident alors de partager le même terrier. Mais les enfants ne sont pas d’accord ! Pour eux, blaireaux et renards ne sont pas faits pour vivre ensemble. Dans le premier tome, nous montrons comment cette famille arrive à se former malgré toutes les difficultés. Mais nous ne sommes pas dupes. Dans une famille, les problèmes ne sont jamais réglés une fois pour toute ! C’est normal – qu’il s’agisse d’une famille traditionnelle ou recomposée. Nous ne manquerons donc pas de matière pour les prochains tomes…

Vous développez un hymne délicat à la tolérance, à l’acceptation de l’Autre sur fond de famille recomposée : cette volonté d’auteur d’inculquer à de jeunes lecteurs ces humanistes notions, te paraît-elle importante vis-à-vis du public visé ?

Brigitte Luciani : Ma volonté d’inculquer… ?! Aie !! J’espère tout d’abord raconter une bonne histoire ! Bon après, c’est vrai, j’aborde forcément des thèmes qui me sont chers. Mais là, qu’importe l’âge du lecteur.

Eve Tharlet  : Je me permets de rebondir sur le verbe « inculquer » ! Comme si on faisait la morale ou donnait des leçons… Ce n’est pas ça. En fait, Brigitte a discrètement placé ses micros autour et dans le terrier de M. Blaireau… Elle ne fait que relater ce qu’il s’y passe. Toutes ces notions dont tu parles s’y retrouvent bien sûr, mais c’est le lecteur (petit ou plus grand) qui, au bout du compte, est touché ou pas ! Brigitte expose les faits et le lecteur en déduit ce qu’il ressent !

La scénariste Brigitte Luciani et la dessinatrice Eve Tharlet
Propos recueillis par Brieg Haslé en janvier et février 2007
© Brieg Haslé – Auracan.com – 2007
Photos de Brigitte Luciani et Eve Tharlet © Brieg Haslé
Visuels © Brigitte Luciani et Eve Tharlet – Dargaud
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